Walden ou la vie dans les bois (Henry David Thoreau)

Récit de l’américain Henry David Thoreau, publié en 1854. La première traduction en français par Louis Fabulet paraît en 1922 chez la Nouvelle Revue Française.

Présentation de l’éditeur:

« Simplifiez, simplifiez ! » : telle est l’invitation de Thoreau dans ce chef-d’oeuvre de la littérature américaine qu’est Walden. Au printemps 1845, l’écrivain a décidé de vivre cette expérience d’un quotidien fait de peu de choses et qui s’abandonne à la présence de la nature. « Ne devant rien à personne, travaillant juste assez pour pouvoir se nourrir, se vêtir et se chauffer, et surtout, surtout jouissant à profusion des dons du monde. Les bruits et les couleurs, les dessins des paysages, les rencontres animales, les brises du matin ou les caresses du soleil : ce seront ses uniques richesses pendant près de mille jours », résume le philosophe Fréderic Gros dans sa préface. Ce dernier souligne combien cette « vie dans les bois » allait bientôt résonner comme un appel au renouveau et à l’insoumission : « Tout est là : il ne s’agit pas d’accumuler, d’avancer, ni même de croire, mais de revivre à soi-même, de se surprendre, de se recommencer. » Un renouveau auquel la nature toujours nous éveille dans ces pages visionnaires.

Tout plaquer et aller vivre au fond des bois

Qui n’a jamais exprimé l’envie de tout plaquer, travail, contraintes familiales, vampirisation par le numérique, pour aller s’installer au milieu de nulle part ? Qui n’a jamais souhaité lever un peu le pied, ralentir, emporté par le rythme soutenu de nos vies qui sont devenues des poursuites effrénées après on ne sait même plus quel idéal, puisque nous l’avons perdu de vue depuis longtemps, absorbés que nous sommes de ne pas trébucher dans cette course supraluminique qu’est devenu notre existence ? Qui n’a jamais aspiré au calme alors que nous sommes sans cesse sollicités, voire agressés par les affichages publicitaires, les hordes de véhicules qui pétaradent et klaxonnent, les vitrines lumineuses et colorées, les beuglements de telle ou telle annonce sur nos écrans, sans parler des notifications de nos smartphones ? Tous, à un moment de notre vie, avons exprimé l’un de ces vœux.

Bien qu’écrit au milieu du XIXè siècle, ce récit exprime déjà à l’époque les prémices des maux qui font aujourd’hui notre quotidien. En passant plus de deux ans dans une cabane dans les bois, près d’un étang, Henry David Thoreau a effectué un retour à la nature et à l’essentiel dont certains d’entre nous rêvent. Mais que les choses soient claires, Thoreau n’a pas vécu en ermite durant tout ce temps. Il a rendu visite à des amis, a reçu des personnes chez lui, parfois des inconnus de passage, il a même travaillé, juste assez pour payer ce qu’il ne pouvait pas trouver dans la nature. Déjà en 1845 (date à laquelle il se lance dans cette expérience), Thoreau expose les nuisances du chemin de fer, les travers du consumérisme (pourquoi acheter plus que nécessaire? ). À travers cet écrit, l’auteur nous rappelle ce qui est réellement essentiel pour vivre: de quoi manger à sa faim, un toit pour s’abriter et se tenir au chaud durant l’hiver, des relations sociales véritablement choisies, et la beauté de la nature. Car nous devons tout de même notre existence à la nature. Au delà de toutes les beautés qu’elle nous offre (douceur du clapotis d’un ruisseau, du bruissement des feuilles dans le vent, musique du chant des oiseaux, lumières des levers et couchers de soleil, des étoiles, et j’en passe), c’est d’elle que nous tirons notre subsistance. Sans nature, pas de fruit, légume, viande, poisson, œuf, céréale. Sans elle, pas de matériau pour construire nos habitations, pas d’eau, pas de vent pour produire de l’électricité (je parle ici avec un point de vue du XXIè siècle, évidemment). Ce que dénonçait Thoreau à l’époque est encore valable aujourd’hui. La preuve en est que nous avons conscience du consumérisme à outrance, puisque le « seconde main, l’anti gaspi alimentaire rencontrent un vif succès – je vous l’accorde, c’est aussi un moyen de pouvoir se nourrir et se vêtir à moindre coût alors que tous les prix flambent carrément, d’ailleurs, au sujet des vêtements, l’état français met en place un « bonus réparation« . L’humanité oublie ce qu’elle doit à la nature, et parce qu’elle est malheureusement comme ça, elle la soumet à sa volonté, l’exploite, la détruit impitoyablement, juste pour du profit immédiat, sans réfléchir aux conséquences à moyen et long termes. Par égoïsme, par envie malsaine de toujours vouloir faire mieux, avoir mieux que le voisin, nous consommons largement au-delà de nos véritables besoins. Les forts écrasent les faibles, les inégalités se creusent, les rancœurs et la violence naissent. Je vais digresser quelque peu ici, mais l’argent, la richesse, ont fait de nous des esclaves. À trop vouloir en accumuler, uniquement pour être « plus », pour être « mieux », nous restons focalisés sur nos nombrils, sur des apparences souvent factices et en oublions notre humanité. Lorsque nous aurons tout détruit, ce ne sont pas nos billets, nos pièces, nos cartes bleues qui nous nourriront. Quel est l’intérêt d’avoir un tableau d’un peintre abstrait à plusieurs millions dans son salon, lorsqu’en regardant par la fenêtre, nous avons la possibilité d’avoir un tableau différent chaque jour, chaque heure, gratuitement ? Mais bref, je m’égare ^^

Bien que le langage employé soit très ampoulé, et une fois la barrière créée par ce style qui peut s’avérer lourd par moment selon le sujet traité dépassée, la beauté de ce récit réside aussi dans sa poésie. On sent l’amour et le respect de Henry David Thoreau pour la nature lorsqu’il évoque l’étang, les oiseaux qui y vivent. Même son champ de haricots se trouve comme sublimé sous sa plume alors qu’il ne s’agit que d’un simple lopin de terre et de haricots. Il sait aussi dresser des portraits de gens rencontrés très réalistes, en retranscrivant leurs propos, en les décrivant, en exprimant de la manière la plus sincère et simple le rapport qu’il a eu avec eux. On se laisse porter par ses mots, on ressent le vent froid de l’hiver, on entend le léger clapotis des eaux de l’étang contre la berge. Thoreau nous fait voyager sans bouger de chez soi.

L’auteur sait tout aussi bien exposer clairement avec des chiffres, avec une approche d’économiste, l’aberration de nos manières de consommer. Il démontre que l’on peut très bien subsister sans se tuer à la tâche, mais en gagnant juste ce qui est suffisant. Bien évidemment, son propos est à remettre dans son contexte. De nos jours, en France, difficile voire impossible de s’approvisionner en eau potable sans être obligé de payer, par exemple. De même pour l’achat d’un logement, nous sommes bien loin des prix qu’il annonce. Mais pour autant, son raisonnement concernant l’achat, plutôt que la location de l’habitation est toujours d’actualité. Cela reviendra toujours plus cher de louer que d’acheter, sur le long terme. Car dans toute son approche, Thoreau a un regard sur les moyen et long termes. Sa démarche est faite après observation et étude, afin d’être sur un objectif durable, pérenne.

Même si les véritables motivations de Henry David Thoreau sur cette vie dans les bois ne sont jamais évoquées, et même s’il est tout à fait possible d’envisager à la base un besoin purement égoïste de repli sur soi, il n’empêche que ce séjour près de l’étang de Walden a été fait en pleine conscience et n’a causé de tort à personne. L’auteur nous prouve au travers de cette expérience qu’il est tout à fait possible de vivre décemment, d’être heureux, avec juste ce qu’il faut de travail et une consommation raisonnée. Dans notre société actuelle, lancée dans son irrémédiable course en avant qui nous mène droit vers notre propre extinction, il serait vraiment bienvenu que cette prise de conscience soit faite par une large part de personnes vivant sur cette Terre. Mais est-il possible de lutter contre la nature profondément dominatrice, en quête de pouvoir et de richesses de ceux qui gouvernent ce monde ? J’aime à penser qu’il est possible, comme Thoreau, de vivre mieux avec moins. C’est probablement utopique de ma part. Mais réfléchissez. Que se passerait-il si chacun décidait de vivre comme Thoreau, dans sa petite bulle d’utopie, en gardant des relations sociales, bien évidemment ? Ne serait-ce pas là le début de quelque chose de meilleur pour tous ? En vivant mieux, ne serions-nous pas enclin à être meilleur envers les autres ? Vous avez quatre heures ^^

Je sors de cette lecture encore plus convaincue qu’avant qu’avoir plus ne signifie pas être plus heureux. Le bonheur et la qualité d’une personne ne se mesure pas au nombre de chiffres sur la dernière ligne de son compte en banque. Je suis encore plus persuadée que ce qui fait la valeur d’une chose n’est pas le prix qu’elle nous a coûté, mais le souvenir, les émotions qu’elle a suscité en nous. Vous pouvez me taxer de rêveuse si cela vous chante. Mais il m’apparaît évident qu’il faut vivre sa vie, en profiter, et non la subir comme nous le faisons, à devoir être productif à l’extrême d’un côté pour consommer à outrance de l’autre. Bien entendu, il s’agit là de mon propre ressenti. Je vous conseille cependant de lire Walden ou la vie dans les bois pour vous faire votre propre opinion et vous interroger ensuite sur votre manière de vivre, de consommer. Sortez ensuite prendre l’air et observez les arbres, les animaux, les oiseaux. Écoutez le chant du vent dans les feuilles, le bruit de la pluie. Sentez les parfums de la terre, des fleurs, celui si particulier du pétrichor. Émerveillez-vous de choses simples. Vivez.

Infos sur le livre:

Édition présentée: Albin Michel (collection Espaces Libres). Titre original: Walden or life in the woods. Préface de Frédéric Gros. Traduction de l’anglais (États-Unis) par Louis Fabulet. ISBN/EAN13: 9782226326881. Également disponible au format numérique.

Pour aller plus loin:

Lecture faite dans le cadre du Club de Lecture VendrediLecture d’Octobre 2023.

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